Jean Baptiste HEBERT :

UN FAMEUX CORSAIRE ACADIEN AU SERVICE DE LA FRANCE

Par Jean SEGALEN, Paru dans la revue Le Lien # 56 ; 4ème trimestre 1995, Centre généalogique du Finistère.

Nombreux sont les généalogistes qui descendent du frère ou des soeurs de Jean Baptiste HÉBERT; et d'autre part de Marie Bernardine NINON; par son mariage avec Jean Baptiste Julien DECOURT(un Brestois).Nombreux sont aussi les généalogistes du Centre Généalogique du Finistère qui ont dans leur ascendance des ancêtres venus d'Acadie, du nom de TRAHAN ou LEVRON.
Pendant la guerre de l'indépendance américaine (1776-1783), les Acadiens firent partie des équipages des navires corsaires morlaisiens; certains même les commandèrent et furent d'excellents capitaines.
On devenait corsaire, pour le compte d'armateurs, avec participation aux bénéfices. Il fallait obtenir l'autorisation du souverain, ce qui se concrétisait par la délivrance d'un document, la "lettre de marque". Cette lettre autorisait la mise à rançon. Les Acadiens représentaient à peu près 5% des équipages dépendant de l'Amirauté de Morlaix. Comme les Bretons, les Acadiens n'aimaient pas les Anglais. Ils avaient pour cela bien des raisons.
L'un des plus célèbres Acadiens qui pratiquèrent la guerre de course fut sans doute Jean Baptiste Hébert. Belle revanche pour cet Acadien, né à Piziguid vers 1745, fils de Joseph Hébert et de Madeleine Trahan. Déporté en Virginie à l'âge de dix ans lors du "Grand Dérangement", et transféré en Angleterre peu de temps après avec sa famille, il aura passé sept ans comme prisonnier de guerre à Liverpool avant de pouvoir gagner la France. Lorsqu'il arrive à Morlaix en 1763 avec sa mère, maintenant veuve, son frère et ses quatre soeurs, il a dix?sept ans.
Recensé à Belle-Ile-en-Mer en 1765, au moment de l'attribution des terres aux Acadiens, il est "en mer", et sa mère décède à Belle-Ile en novembre 1766. Il ne pourra donc bénéficier de cette attribution.
En mai 1766, il avait quitté Belle-Ile pour le Pays de Retz. Trois ans plus tard, à Paimboeuf, il épouse le 2 janvier 1769 Marie Elizabeth Billard, native de cette paroisse, fille de Mathieu Billard et de Marie Blanchard. Deux enfants sont nés de ce mariage Jean Baptiste, l'aîné, baptisé le 13 avril 1771 - son père est alors dit "marin en voyage" - et Eustice Joseph, baptisé le 12 juillet 1772, qui meurt en novembre 1775, âgé de trois ans. Jean Baptiste Hébert est recensé à Paimboeuf en 1773. Après le décès de sa femme, le voici seul avec son fils aîné.
Il part bientôt pour Le Havre, où il sert en qualité de deuxième capitaine sur le bateau La Seine. De retour à Morlaix, il reçoit en 1780 le commandement du corsaire-cutter L'Epervier de Morlaix, un bateau de 30 tonneaux armé de 4 canons et 8 pierriers . Ce bateau faisait partie de l'armement "Veuve M. Cornic & fils", établi Quai de Léon à Morlaix. Cet armement est représenté par Marthe Homon, la veuve de Mathurin Cornic, originaire de Bréhat (île de la Manche, proche de Paimpol) et tour à tour capitaine, négociant et armateur, et par son fils, également prénommé Mathurin. Les navires de course appartenaient à un armateur, à une société. Il est aisé d'imaginer que cet armateur possédait quelques intérêts à lancer ainsi ses bateaux contre les ennemis du roi de France. Ils sont aussi ses ennemis, mais pas pour les mêmes raisons. Sur L'Epervier, on trouve en 1780 d'autres Acadiens, les dénommés Gautreau et Trahan. L'historien breton Henri Bourde de la Rogerie mentionne que les Acadiens Alexis Levron (de Boulogne) et Jean Trahan (d'Acadie) naviguaient à côté du capitaine Hébert. Ils étaient tous deux ses cousins . En 1781, le capitaine Hébert commande Le Canadien, un lougre de six canons, tirant des boulets de 3 livres, et de 12 pierriers, appartenant également à la veuve Cornic. II prend ensuite le commandement du Marquis de Castries et de ses 86 hommes d'équipage, un bateau de 190 tonneaux, équipé de 20 canons et armé à Morlaix par la société Thorris Jean & Wante Louis", de Dunkerque.

L'Epervier:

Commandant de L'Epervier, Hébert arraisonne en 1780 le Friendship. Le 29 août de la même année, c'est Le Crutène, un bateau de 400 tonneaux, mais qui cette fois lui échappe, sauvé par un navire de guerre anglais. Le 13 octobre, à l'entrée de la baie de Plymouth, à l'affût, il est surpris par un vaisseau de guerre anglais. Il s'en éloigne et tente d'imiter une barque de cabotage, cache ses canons, fait descendre son équipage dans la cale, ne laissant sur le pont que quatre hommes. Le vaisseau anglais ne tarde pas à l'arraisonner. Hébert a assez de sang-froid pour répondre, sans s'émouvoir, au capitaine de ce vaisseau de 74 canons, chargé de la protection du commerce anglais, "en se disant anglais et en demandant escorte." Sa maîtrise de l'anglais, acquise pendant son séjour forcé à Liverpool, lui vaut de leurrer l'adversaire. La lettre écrite par Pierre Nicolas Gaspard Boucaud, commissaire de classes à Morlaix, au roi Louis XVI à Versailles, stipule : "Hébert a eu la témérité de marcher (six heures) de conserve et sous l'escorte" du vaisseau anglais. Cette ruse lui a réussi, au point de le mettre à portée de faire le lendemain, 14 octobre, deux prises. Notre corsaire rançonne de 800 livres sterling L'Actif de Guerwouth et s'empare d'un sloop de 18 tonneaux qu'il ramène au port de Morlaix.
Il reprend la mer le 27 octobre. Dans son rapport. le commissaire écrit: "Il s'est trouvé au jour à la portée de canon du même vaisseau et à la vue d'une flotte marchande ennemie (le 83 voiles escortée par de gros bâtiments armés en guerre et en marchandise. La ruse qui l'avait sauvé dans sa première expédition lui a servi une seconde fois pour tromper ce vaisseau de 74 canons qui l'a laissé marcher de conserve avec lui, vers la flotte ennemie avec laquelle il a fait route jusqu'au moment qu'il a trouvé favorable pour enlever un bâtiment après avoir offert le combat, fait crier vive le roi comme cri (le victoire, forcé les 4 bâtiments d'escorte qui l'avaient poursuivi à se retirer. Enfin il est rentré le 30 à Morlaix avec deux prises évaluées à 200 000 livres" s'agissait du bateau Le Héros, de 150 tonneaux, venant de Londres et chargé pour Dublin (le marchandises sèches; parmi lesquelles se trouvait du salpêtre. Il y avait aussi du chanvre, de l'acier, du thé et d'autres marchandises. L'autre prise était Le Hardi, de 50 tonneaux, chargé de charbon.
Le 29 novembre, le capitaine Hébert côtoie à nouveau l'Angleterre. Il tombe sur une flotte de plus de 100 voiles et il s'approche d'un brick, l'Elizabeth, de 160 tonneaux, "chargé de sucre et de bière, allant de Londres à Cork" en Irlande et armé de six obusiers(7). L'Epervier l'accoste et son équipage se lance à l'abordage. Le capitaine anglais et son second sont tués, et la prise est amenée à Cherbourg. On ne peut devenir corsaire si l'on n'est pas un bon marin, mais il faut aussi être prêt à se battre et à payer de sa personne. Le 16 décembre, L'Epervier fond sur une nouvelle proie, La Bonne Intention, un bateau de 50 tonneaux. Le 28 décembre 1780, un corsaire anglais prend le navire hollandais LHarmonie. Le même jour, celui?ci sera repris par L'Epervier et ramené à l'île de Batz (île de la Manche, en face de Roscoff), non loin de Morlaix.
L'Epervier connait avec Jean Baptiste Hébert une fructueuse carrière. Hébert inscrit à son tableau de chasse une demi-douzaine de prises, et une ou deux rançons, résultats obtenus presque toujours après qu'il ait livré bataille et conduit son équipage à l'abordage. Les prises de L'Epervier valaient plus de 200 000 livres. Les 16 actions de 1 000 livres émises pour armer ce corsaire furent donc remboursées 3 025 livres.
Après cette année 1780 si fructueuse, Jean Baptiste Hébert méritait bien une promotion. En 1781, nous le retrouvons à la tête du Canadien, toujours au service de la veuve Cornic.
Le temps d'une escale Hébert se remarie. Veuf, âgé d'environ 36 ans, , il épouse à Morlaix, le 5 février 1781, une jeune orpheline de père, Marie Gabrielle Bernardine Ninon. Le père, Pierre Ninon de Maisonneuve, était lui aussi capitaine de navire, un capitaine de la trempe de Charles Cornic, son cadet d'un an. Une fin prématurée devait interrompre une belle carrière de marin. Pierre Ninon mourut à Morlaix le 12 mars 1763, à l'âge de 43 ans. Bernardine et sa mère trouvèrent la demande en mariage de Jean Baptiste Hébert avantageuse". Il convenait de convoler. Pierre Ninon, le père de Bernardine, aurait certainement approuvé cette union avec un si vaillant capitaine.
Si le mariage était "avantageux" pour la fiancée, il ne l'était pas moins pour Jean Baptiste Hébert. Sa bellemère, qui demeurait rue St Melaine, payait 24 livres de capitation, ce qui dénotait une aisance certaine. La belle-famille et ses alliances montraient bien que notre Acadien entrait dans le clan des riches familles bourgeoises de la ville.
Ce fut un beau mariage célébré en l'église St Melaine à Morlaix. Jean Baptiste Hébert portait l'uniforme bleu (1) à épaulettes à franges qui seyait si bien aux marins. La nouvelle épousée était entourée du conseil de famille. Il y avait là Madame Marie Toussaint Noroy, sa mère; Pierre Biléo, Jacques Poirier et Jacques Héloury, trois capitaines bréhatins portant également l'uniforme (Bréhat était alors un nid de corsaires). Il y avait aussi Maître Regnault, notaire très prospère, et Monsieur Jaouen, commerçant, tous deux demeurant Grand Rue à Morlaix. La famille, du côté maternel, était représentée par Jacques Noroy et Joseph Marie Noroy, tous deux négociants et faisant aussi dans l'armement de navires, et Messire Jean Noroy, prêtre chanoine de l'église collégiale et royale de Notre-Dame-du-Mur à Morlaix, celui-là même qui, paré de ses titres de "prêtre et bachelier de Sorbonne", avait dans cette église, le 25 août 1757, baptisé la petite Marie Bernardine. Plus effacés, sans doute, la soeur du marié, Marguerite Hébert, et le frère de la jeune épousée, Mathurin Ninon, assistaient aussi au mariage. La cérémonie religieuse fut célébrée par Monsieur Le Noannes, le recteur de la paroisse.

Le Canadien :

Même s'il a épousé une jeunette, le marin doit repartir. Le devoir l'impose. Notre corsaire ne tarde pas à reprendre la mer, pour chasser l'Anglais sur le Canadien. Les prises reprennent le 24 mars. c'est le Constant Friend, un bateau de 120 tonneaux, la Marie, de 50 tonneaux, et L'Aigle, de 130 tonneaux.

Le Marquis de Castries :

Jean Baptiste Hébert embarque maintenant sur le Marquis de Castries. Belle revanche pour un Acadien, car ce navire n'est autre le Tamer, un corsaire anglais pris à l'ennemi et rebaptisé Marquis de Castries, du nom d'un ministre de la Marine d'alors, Charles de la Croix, Marquis de Castries, Maréchal de France (1727-1801). Confié au capitaine Hébert, il reprend la course. Les campagnes sur ce navire furent moins fructueuses; celle menée du 2 au 19 février fut même malheureuse. Hébert signale au rapport que neuf hommes d'équipage sont morts(2)

L'épée d'honneur :

Bourde de la Rogerie mentionne qu'une épée fut accordée en 1781 à l'Acadien Jean Baptiste Hébert, de Morlaix, capitaine de LÉpervier. qui s'était emparé de quatre prises dans des circonstances extraordinaires. Sa conduite lui valut d'ailleurs beaucoup d'éloges. Dans le document présenté par Bourde de la Rogerie, on lit : "le dit sieur Hébert auquel le Ministre de la Marine a bien voulu témoigner sa satisfaction l'année dernière (1781) pour sa conduite dans sa croisière intelligente sur le corsaire L'Epervier où il a montré l'adresse d'un capitaine de corsaire et le courage d'un soldat, dans l'occasion qui lui était offerte d'être utile au service de Sa Majesté".
La lettre adressée au Ministre de la Marine par le responsable de l'Amirauté de Morlaix citée ci-dessus, et les journaux de l'époque témoignent de son courage. Jean Baptiste Hébert méritait bien l'épée d'honneur et la gratitude du roi.
Notre héros meurt à la veille de la Révolution (avant le 15 mars 1786), lors d'un voyage sur les côtes de Guinée. De sa deuxième femme, il semble ne pas avoir eu d'enfant. Le sieur Leblanc, marié à sa soeur Modeste Hébert, sera tuteur de son fils Jean Baptiste, né de son premier mariage(3).
Hébert aurait pu obtenir une terre à Belle-île-en-Mer dont son fils aurait hérité, mais comme relaté plus haut, il n'était pas là lors de l'attribution, et n'avait pas pu inscrire son fils à temps sur le rôle des pensions accordées aux Acadiens, puisque mort en mer à ce moment-là.
Lors de la Révolution Française, nous trouvons Jean Baptiste Hébert (fils), âgé de 19 ans, aux volontaires nationaux. Il appartenait, avec le grade de capitaine, au 3ème Bataillon, formé à Quimper en février 1792. Ce bataillon s'embarqua à Lorient, le 20 juillet 1792, pour les Colonies. A la date de décembre 1794, des renseignements officiels donnaient ce bataillon comme totalement détruit. Curieux destin que celui de ce fils d'Acadien. La jeune veuve de notre corsaire, Marie Gabrielle Bernardine Ninon, la trentaine à peine dépassée, quitte le veuvage pour épouser le 13 février 1790, à Morlaix, un chirurgien

NOTES

1 - Les corsaires étaient considérés comme un corps à part, avec uniforme spécial ; ceci eut pour effet de créer une violente antinomie entre ces roturiers et les officiers nobles, les officiers rouges. A noter qu'en 1781, l'édit de Ségur, fruit de la réaction de l'aristocratie, barre l'accès au grade d'officier à tous ceux qui n'ont pas au moins quatre degré de noblesse. Il s'agissait là d'une condamnation d'un état de fait.
2 - Bilan des victimes : tombé à la mer et noé : 1, mort en mer : 1, morts à l'hôpital de La Corogne en Espagne : 4
mort à bord : 1 mort en rade de Morlaix : 1
3 - Etat des Acadiens de la subdélégation de Morlaix qui se proposent de rester en France du 15 mars 1786.
Fonds du Père Patrice Gallant, Centre d'Etudes Acadiennes, A 9-3-4

Familles acadiennes
Lettre H
Bazile Henry